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septembre 12, 2024

A l’origine de la commémoration de Mawlid Annabawi au Maroc

Mawlid Annabawi

Commémoration de Mawlid Annabawi à Salé. DR

Le Mawlid Annabawi, commémorant la naissance du prophète Mohammed, est profondément enraciné dans la culture marocaine. Annuellement, durant le mois de Rabi’ al-awwal du calendrier islamique, cette célébration rassemble des millions de Marocains dans une manifestation de ferveur et de piété. Quelles sont donc les origines de cette tradition et les pratiques qui y sont liées ? Explorer ses racines, ses rituels et les débats actuels qui l’entourent aide à saisir son importance au Maroc.

D’après les récits historiques, c’est sous les Fatimides, une dynastie chiite qui gouvernait l’Égypte, que les premières célébrations ont vu le jour. Toutefois, c’est à Al-Malik al-Muzaffar, souverain de la dynastie ayyoubide, que l’on attribue la popularisation du Mawlid Annabawi dans le monde sunnite, notamment au Maghreb, en officialisant cette fête au XIIIe siècle. « Une tradition originaire principalement de l’Orient, et plus précisément de l’Égypte, a fini par confirmer, surtout vers le XIIIe siècle, la pratique régulière de la célébration du Mawlid Annabawi Sharif », explique Farid El Asri, docteur en anthropologie, diplômé en islamologie et en judaïsme, agrégé en langue arabe, titulaire de la Chaire « Cultures, Sociétés et Faits Religieux » et actuellement Doyen du Collège des Sciences Sociales à l’Université internationale de Rabat (UIR).

Selon certaines sources, la commémoration remonte au VIIe siècle à Ceuta. À cette époque, influencés par les célébrations chrétiennes en Andalousie, les musulmans de cette ville ont été encouragés par un savant marocain à renoncer à ces pratiques au profit de la commémoration du Mawlid Annabawi. D’autres sources historiques confirment cette commémoration dans l’histoire de la dynastie Almoravide au XIe siècle. Les souverains de cette dynastie, ardents défenseurs de l’Islam sunnite, ont intégré la commémoration de la naissance du Prophète dans les pratiques religieuses de l’époque. Cependant, c’est sous le règne des Almohades, au XIIe siècle, que la célébration a acquis un caractère officiel et structuré, les Almohades cherchant à renforcer l’unité spirituelle du royaume en faisant du Mawlid une commémoration religieuse annuelle.

D’après des chercheurs tels que Mohamed Arkoun, cette tradition s’est progressivement répandue à travers le royaume. Ce contexte historique révèle l’importance de cette célébration qui, tout en étant religieuse, a contribué à la consolidation des dynasties et à l’unification des territoires marocains sous la bannière de l’Islam.

Traditions et rituels du Mawlid Annabawi

Aujourd’hui, le Mawlid Annabawi est célébré à travers une multitude de traditions et de rituels au Maroc. Les chants et poèmes religieux, connus sous le nom de madh en l’honneur du Prophète, sont au cœur des célébrations. Parmi eux, le célèbre Al-Burda du poète Al-Busiri est souvent récité lors de ces événements. Ces chants accompagnent généralement des processions où les résidents, vêtus de tenues traditionnelles, parcourent les rues illuminées et décorées pour la fête. Les mosquées sont également souvent illuminées et organisent des sessions de récitation du Coran. « De grands biographes ont produit des œuvres monumentales sur la vie du Prophète, créant ainsi une véritable tradition marocaine de préservation du patrimoine coranique. De nombreux Marocains sont reconnus aujourd’hui, même à l’échelle internationale, comme mémorisateurs du Coran et psalmodieurs, tout en contribuant à la production de ce qu’on appelle la sirène Annabawia… Il existe donc un patrimoine très important sur lequel nous nous appuyons », explique Farid El Asri à LeBrief.

La générosité est un autre aspect important de la célébration. Organiser des distributions de nourriture pour les plus démunis est une pratique courante, reflétant les valeurs de partage et de solidarité enseignées par le Prophète Mohammed. Les familles marocaines manifestent aussi leur générosité en préparant des repas spéciaux à partager avec leurs proches et ceux dans le besoin.

Les traditions diffèrent d’une région à l’autre. Dans des villes telles que Marrakech ou Tétouan, on organise des concerts de musique traditionnelle, alors que dans les zones rurales, le Mawlid Annabawi est marqué par des rassemblements spirituels dans les zawiyas, lieux consacrés à la prière et à l’enseignement religieux. Certaines régions célèbrent avec des processions religieuses et la distribution de douceurs spécialement préparées pour l’événement. En milieu rural, le Mawlid est souvent célébré comme un moment de communion sociale et spirituelle, où les Marocains renouent avec leur foi et leur communauté dans un esprit de partage et de solidarité.

Cependant, les coutumes liées au Mawlid Annabawi varient à travers le Maroc. Chaque région y ajoute une touche culturelle distinctive. Par exemple, dans le nord, les poèmes et les chants religieux prédominent, alors que dans le sud, les festivités prennent souvent une tournure plus spirituelle avec des séances de méditation et des prières collectives. Ces variations illustrent la richesse culturelle du Maroc et démontrent l’adaptation des traditions locales à cette fête nationale.

Il est aussi essentiel de souligner que des communautés soufies du Maroc, comme les Tijanes et les Qadiris, commémorent le Mawlid par des rituels uniques en lien avec leurs traditions mystiques. Ces célébrations, généralement plus ferventes, comportent des chants spirituels nommés dikr et des danses extatiques destinées à établir une communion avec le divin.

Au-delà de son aspect religieux, le Mawlid Annabawi influence profondément la vie sociale et culturelle au Maroc. C’est une occasion spéciale pour consolider les liens communautaires. Les Marocains issus de divers milieux sociaux se réunissent pour prier, échanger et partager des instants de convivialité. Ces festivités se transforment en moments de retrouvailles familiales, ce qui renforce les liens sociaux..

Le commerce local profite aussi de cette période de festivités. Les artisans offrent des articles décoratifs, tandis que les marchés se dynamisent avec la vente de produits traditionnels liés à la commémoration. Musiciens et poètes bénéficient également d’un espace pour dévoiler leur talent, honorant le prophète par leurs créations artistiques..

Débats contemporains autour du Mawlid

Toutefois, le Mawlid Annabawi ne fait pas l’unanimité et suscite des débats actuels. Certains religieux et intellectuels remettent en question cette célébration, la considérant sans fondement robuste dans les écritures saintes de l’Islam. Pour ces opposants, fêter le Mawlid Annabawi constitue une innovation, ou bid’ah, s’écartant des pratiques initiales de l’Islam. Ils soutiennent que le Prophète n’a jamais commémoré son anniversaire, ni incité ses disciples à le faire.

Certains affirment que le Mawlid Annabawi est une tradition culturelle et religieuse essentielle à l’identité marocaine qui mérite d’être conservée. Ils voient dans cette célébration une chance de renforcer la dévotion et de se remémorer les enseignements du Prophète à travers des instants de prière, de méditation et de communion. « Ainsi, une forme de ritualisation a été établie, même si certains argumentent contre la commémoration, rappelant que l’Islam ne reconnaît que deux fêtes… Ces discours surgissent d’une confusion entre la notion de fête et celle de commémoration. Or, la tradition musulmane regorge de commémorations. Les moments d’Arafat et de Laylat Al Qadr (nuit du destin) en sont des exemples. Le débat se cristallise autour de la commémoration d’un individu, en l’occurrence le Prophète de l’Islam, et de la question de célébrer ou non un anniversaire, qu’il s’agisse de naissance ou de décès », explique El Asri. L’anthropologue souligne également que de Jakarta à Tanger, le Mawlid Annabawi Sharif est commémoré de diverses manières à travers le monde musulman. En Égypte, par exemple, la célébration comprend la confection de poupées et de sucreries spéciales. En Indonésie, des milliers de personnes défilent en chantant les louanges du Prophète, tandis qu’à Salé, au Maroc, se déroule la procession traditionnelle des cierges. Si le Mawlid s’ancre dans un cadre de référence commun, chaque culture l’adapte et l’exprime à sa façon. Dans la tradition marocaine, l’héritage poétique de la Borda de Boussaïri occupe une place prépondérante dans les festivités.

Ces diverses célébrations illustrent la riche flexibilité culturelle de cette commémoration. « Il est très intéressant de noter comment le Maroc établit des jours fériés pour cette période de commémoration. Dans la culture populaire, il existe un lien particulier avec le Prophète de l’Islam, presque comme un cordon ombilical. C’est un moment unique qui suscite, d’une part, de l’enthousiasme, mais également une certaine nostalgie, un retour sur le parcours de l’expérience prophétique. Cela fait intrinsèquement partie de l’identité marocaine, c’est un aspect très profond de la culture. »

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